#182



La cheminée exhalait des miasmes de mort, la mort des pages déjà écrites, des voix déjà oubliées. Puis, comme venu de nulle part, un papillon de nuit est venu se poser sur le lit de cendres encore fumant du feu qui doucement, tout doucement, crevait. Peut-être avait-il pris la couleur chaude d'une braise brûlante pour une fleur de cheminée. Qui sait ? 
 L'attention de monsieur M. fut saisie par la couleur du papillon entièrement noir, noir comme le kesa du petit homme qui l'avait accompagné durant sa détention... Est-ce vous ? dit monsieur M. au papillon qui semblait le regarder droit dans son âme. Est-ce vous qui ce soir venait me faire un signe alors que je suis en train de brûler le seul livre que vous avez épargné, cette nuit du 15 février ?  Que cherchez-vous à me dire ?

À ces mots, une de ses ailes s'est accrochée à une braise et sans même se débattre, le papillon noir comme du charbon s'est figé avant de brûler, ravivant d'une légère flamme ce feu qui dans la pensée de monsieur M. s'éteignait. La façon dont la flamme dansait éveilla en lui un sentiment de déjà vu, comme si la cendre portait l'empreinte de ses propres pas, de ceux de tous ces personnages rencontrés au détour de ces nuits ayant raté l'heure de leur sommeil, ces nuits qui veillent infiniment en attendant que l'aube vienne les délivrer, une aube qui jamais ne vient, qui jamais ne se lève sur un jour nouveau, le jour d'après avoir brûlé ce livre inachevé.

Et puis, alors qu'il s'apprêtait à s'immoler à son tour, les paupières de monsieur M ont commencé à trembler, comme si celles-ci craignaient de s'ouvrir sur un monde tristement vrai, dénué de toute fiction... Pas de doute, monsieur M. était en train de se réveiller d'un sommeil aussi lourd qu'un secret, un sommeil de combien d'heures ? de combien de jours ? un coma de combien d'années ? 
Ça faisait si longtemps qu'il n'avait plus vu le jour de si près qu'il était quelque peu désorienté, pour ne pas dire complètement perdu. Il crut d'abord qu'il était en train de rêver son réveil. Il crut ensuite qu'il était mort et que la pièce dans laquelle il se réveillait à présent était la salle d'attente des âmes ayant rendez-vous avec leur néant. Et puis il s'aperçut vite qu'il était bien en vie et qu'il était à nouveau là, dans une chambre dont il ne reconnaissait rien, ni la couleur des murs, ni le craquement du parquet, ni le bureau de bois, ni le divan de cuir, pas même la bibliothèque remplie de livres dont il ne connaissait ni les titres, ni les auteurs, ni même la langue dans laquelle ils étaient écrits...

Alors qu'il cherchait dans le vide des repères à un sens qui lui échappait, quelqu'un frappa soudainement à la porte; probablement un homme semblant s'adresser directement à lui dit d'une voix grave et douce (qui ne lui était pas étrangère) comme si celle-ci ne voulait pas réveiller brusquement celui qu'elle interpellait :
«— Mathias ?
Monsieur M. préféra rester muet...
La voix insistait : 
— Mathias! Tu es réveillé ?
Devant l'absence de réponse, la voix s'est éloignée dans un léger bruit de pas...»

Monsieur M. se leva et voulut aller jeter un oeil à la fenêtre pour y découvrir, peut-être même reconnaître, le quartier voire la ville dans laquelle il était tombé. Mais à sa plus grande surprise, ce n'était pas des carrés de béton qu'il vit derrière la vitre mais la mer, une mer agitée. Il l'observa de longues heures, immobile, et il comprit que le mouvement des vagues éternellement recommencé était celui de son écriture qui n'avait cessé jusque-là de revenir sur elle-même. Il remarqua également que les cendres dont il venait de rêver n'étaient rien d'autre que le sable chaud de cette plage à sa fenêtre où l'empreinte des pas d'un absent n'avait cessé de lui conter l'histoire d'un homme naufragé.

Le soleil écrasait à présent la fenêtre de sa lumière. Monsieur M. ne voyait presque plus la mer derrière. Alors qu'il s'apprêtait à tirer les rideaux pour retrouver un peu de nuit, il aperçut quelque peu ébloui son reflet dans la vitre. En se voyant ainsi, il répéta le nom qu'il avait entendu auparavant : Mathias ? 

Aussitôt prononcé, je crus un instant me reconnaître avant de disparaître à nouveau... dans les vagues déferlant sur mon visage... médusé.



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