#358


Tu tiens ce journal jusqu'à la nausée de ta personne, malgré la tentation de l'interrompre qui demeure derrière chacun de tes mots. Tu te gardes bien de revenir sur les pages précédentes, sachant déjà ce que tu y trouverais : monologue infâme d'un nombril à qui l'impudeur a donné la parole, mise à nu qui tourne à la mise à mort. Mort de quoi ? De honte bien entendu.

Malgré tout, des lecteurs te rassurent, quelque-chose revient souvent dans leur bouche, avant tout autre commentaire, ils te demandent : est-ce vrai ? Comme si une fiction planait encore derrière ce journal. Et si c'en était une ? Et si tout ce que ce journal évoque était entièrement imaginaire ? Après tout, l'écriture a sa propre vérité. L'idée d'injecter peu à peu des évènements fictifs t'a déjà traversé l'esprit, pour petit à petit, t'évaporer de ce Tu. À vrai dire, je me demande en cet instant même si ce n'est pas déjà fait. 

Seuls les correspondants savent quand les mots rejoignent la vie. Personne d'autres. Pas même les rares personnes qui t'entourent, puisqu'elles sont incapables de te lire en français. Voilà peut-être pourquoi tu n'habites plus dans ta langue maternelle : pour ne plus avoir à rencontrer des personnes qui te lisent, séparer pour de bon la parole du silence de l'écriture, non pour fuir tes responsabilités, mais pour revendiquer le droit de ne pas avoir à te prononcer sur ce que tu écris. Croire à la vérité du texte qui quel qu'il soit révèle une humanité à travers l'anonymat d'un pronom.

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3 h 53, assoupi sur le carrelage froid, tu regardes ses moustaches frétiller, les soubresauts dans ses pattes, écoutes sa respiration irrégulière et ses petits couinements aigus... Pas de doute, le chien que tu n'as pas est en train de rêver. 

la memoria dei cani, Simone Massi

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