#514


je ne déguiserai pas d’un récit l’expérience d’écrire ce livre


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mets-toi sous les poils du pauvre chien quelques secondes : une voiture passe dans ta campagne profonde. Le bruit de moteur te fait déjà peur. Elle se gare chez toi. Les invités mangent amicalement avec ton maître. Tu restes sur tes gardes malgré le calme. Avant de quitter les lieux les invités te ramassent et t’embarquent. Pas le choix, c’est ainsi tu pars. Tu laisses frères et sœurs derrière, et tes maîtres. Faute de pouvoir te nourrir ils t’ont donné à d’autres. Qui est ce type obèse et tendre ? Tu trembles sur ses genoux, ses caresses affectueuses ? À côté sa femme au volant, léger sourire aux lèvres, l’air gentille, prudente sur la route. Il y a même de la musique. C’est jeux interdits joués par un anonyme. Quelques heures après avoir vu la nature disparaître à la fenêtre sur un air de guitare, tu regardes se dresser la ville. Derrière la vitre, son grondement te pétrifie. Ton nouveau maître te pose là, sur le béton labyrinthique et étroits des hẻm, dans les pieds d’une famille aussi banale que dingue. 


choisis pas l’amour d’un maître, quel qu’il soit, choisis pas la rue, la cage, choisis pas le ventre dans lequel tu tombes, même si parfois, mieux vaut être dans l’estomac d’un homme ivre qu’au bout de son bâton de bambou sec. Ici à peine la place pour un homme. Ce n’est même pas un trottoir. Ni une route. Plutôt une sorte de rigole aux murs vertigineux. Un toit sur deux carrés empilés l’un sur l’autre, avec un balcon où le linge sèche, des plantes vertes à l’entrée, 30 mètres carrés autour d’une famille, à des kilomètres de la tienne, des centimètres de murs derrière lequel on entend tout, même le chien voisin rêver.

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ce matin une voisine s’est pendue. Elle vivait dans une minuscule maison, face à l’immeuble de trente-quatre étages. Une amie a découvert le corps dans les toilettes. La police est déjà partie. Le voisinage médit déjà. Ce serait à cause d’une histoire d’argent avec sa fille. Certains évitent de traîner par là, par peur du fantôme.

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pas un moment d’immobilité si ce n’est celui du sommeil. Les mains travaillent tout le temps, c’est effrayant de la regarder bouger, je découvre soudain un nouveau regard sur celle qui m’accompagne depuis des années

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un ongle en gratte un autre, j’ai les mains noués, j’écris de ma cuvette, déverse en bouillis ma réserve de déchets du jour. Seul lieu dans la maison où je suis épargné, depuis que j’ai une famille, je chie plus. Le cul à l’air libre, seul, sans personne pour m’interrompre, je fais des phrases caleçon sur les chevilles. Je transpire. Il fait très chaud. Et moite comme une phrase de Duras. Elle me manque. La lecture commence peu à peu à reprendre le pas sur l’écriture. C’est bien. Il est grand temps de publier. Quitter les lieux de ce livre et laisser derrière moi la porte ouverte à n’importe quel autre passant. N’importe qui pourra, s’il le souhaite, loger dans ma ville intérieure quelques temps. Moi je serai déjà loin.



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