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si je ne fais plus de vidéo, c'est parce que je n'ai plus d'outil pour en réaliser. Je n'ai qu'un iPad, vieux de 6 ans. Ce qui doit correspondre à 90 ans en âge humain. Il m'a fidèlement accompagné jusqu'à aujourd'hui. Mais il vieillit. Et bien plus vite que moi. J'ai écrit avec lui, sur lui, en lui, l'intégralité de mon travail d'écriture. C'est avec lui que j'ai un soir créé les nuits échouées, publié pour la première fois sur nerval.fr, composé L’ePub monsieur M. chez publie.net, écrit pour les Cosaques des frontières, été en résidence numérique chez l’amie Noëlle Rollet, avec lui que j’ai expérimenté l'écriture sur youtube, avec lui que j’ai correspondu avec d’autres inconnus de confiance, étranges rencontres dans la dimension de l’écriture


écrits, lectures, photos, vidéos, montages, partages, tout est passé par l’iPad. Aujourd'hui il se meurt. Ses forces l’abandonnent, sa mémoire aussi, chacun de ses gestes est lent tel le pas d’un vieillard. Ses réponses à mes demandes se font de plus en plus rares. Les applications chargent indéfiniment, ou s'interrompent brusquement, sans rien sauvegarder. La seule chose que je peux faire par moment, c'est publié un billet ici. Et encore. La connexion internet est si souvent interrompue que ça devient presque impossible. J’attends d’être dans un café. Mais même le thé quotidien est une dépense notoire. Je crains l’écran noir, le deuil de sa lumière. Il pourrait s’arrêter maintenant, à l’instant même où j’écris ces phrases. (Presque) Tout disparaitrait. Sauf les nuits échouées, ouvertes à qui passe par là. Pas grand monde, une poignée de fidèles. Et des âmes égarées dans leur recherche google. Ça suffit pour croire à la présence du lecteur.


l’iPad est mon unique outil de création. Sans lui, je me sens démembré. J’écris donc moins, ne peux avancer le livre à venir. Je suis sans moyen pour renouveler mon matériel, même quelque-chose de pas très cher. Hier j’ai croisé deux adolescentes qui se prenait en photo devant les vitrines de luxe. Leur appareil photo valait bien quatre salaires. Je les ai regardées longtemps, m’imaginant leur arracher des mains. Et courir. Sans culpabilité. Sachant que j’en ferai meilleur usage. Un vol de cette nature me semblait pour quelques minutes justifié. Tant qu’à prendre ce risque, mieux vaut voler une tablette, un pc. Ils sont si légers aujourd’hui, faciles à dissimuler une fois dérobés. À côté une cliente va aux toilettes laissant sur la table son Macbook air flambant neuf. Ici pas de caméra. Je suis juste à côté de la porte. Dehors il pleut, personne ne viendrait me poursuivre. Pour un outil pareil, je pourrais trahir la confiance de la tenante du salon de thé. Nous ne sommes au fond pas si proches.


j’attends une éclaircie financière. Les priorités intérieures ne sont pas celles de la vie matérielle. Ainsi je fais sans outil. Quand je marche dans la rue, il me semble pourtant que j’écris encore, le regard prend des photos, filme, sans rien saisir. Je suis des phrases mortes avant d’avoir éclos, des clichés non volés, des films à monter dans ma tête. Je pourrais revenir à l’écriture manuscrite, m’acheter un cahier, un crayon. Mais sans le geste du rédigé-publié, Anh Mat n’existe plus. Il attend en moi. Même la ville n’existe pas sans lui… et son iPad pour la saisir, l'iPad devenu frère dans la solitude, camarade du temps à passer ici-bas, entretien quotidien face à soi. Il ne reste plus que Mathias, sa vie sèche, sans écriture, et le temps qui chaque jour creuse un peu plus profondément la tombe de son double, qui meurt de ne plus rien écrire.


la question banale qui se pose ici, est la non rémunération d’un travail artistique. Ma situation actuelle tue matériellement mon acte de création. J’ai toujours fait avec ce que j’avais sous la main, et si mon iPad rouillé roulait encore, je m’en contenterai, sans plainte. Aujourd’hui, je m’apprête à me retrouver sans outil, si ce n’est le smartphone, trop réduit pour envisager quoi que ce soit. Avec enfant à charge, prix de l’éducation, de la santé (si élevés ici) quel autre choix que le silence ? Quelle place dois-je réserver à ma pratique sans devenir irresponsable financièrement ? Sans oublier le temps consacré à écrire, moi qui suis aussi lent que mon iPad agonisant. Comment consacrer du temps à une nécessité qui ne rapporte rien ? En attendant, je suis un homme sans outil, un écrivant qui n’écrit pas, Mathias sans Anh Mat. 



Commentaires

Brigetoun a dit…
aimerais pouvoir...
annaj a dit…
important: mets déjà le contenu sur clefs usb...sinon c'est la cata
ensuite ai un mail... pour des précisions

Quelles solutions ? Un projet crowdfunding avec un livre publié offert à la clé, ou un abonnement à un projet d'écriture long terme (quand je dis écriture, c'est l'écrit, l'audio, la vidéo), qui pourrait financer tout ou partie de l'iPad nouveau ? Beaucoup d'énergie pour y arriver, mais c'est peut-être une piste à creuser ?
De tout coeur avec toi, quoi qu'il en soit.
Anonyme a dit…
Comme Philippe, je pense au crowdfunding ! Pensées vers vous Ahn Mat.
Je pensais aussi au crowfunding.
Très amicalement